Les années 1965-1975 sont marquées par de profonds bouleversements sociologiques : la France atteint cinquante millions d’habitants, dont 65% sont des citadins.
Il y a deux millions d’élèves dans le secondaire contre 100.000
seulement au début du XXè siècle et 800.000 étudiants contre 80.000
en 1930.
Le contexte économique se modifie : c’est « l’ascenseur social » pour tous qui correspond à une phase d’expansion très rapide. Le pouvoir d’achat des ménages augmente. Le SMIG est multiplié par trois de 1964 à 1974, et l’ensemble des salaires par 2,5 alors que l’indice des prix est multiplié par 1,7.
De plus en plus de ménages font appel au crédit pour accéder à la propriété. La publicité fait sa toute première apparition à la télévision en 1968. C'est l’apogée de la société de consommation.
La population active employée dans le secteur primaire est passée de 36% en 1946 à 16% en 1968. L'accroissement du secteur tertiaire, les exigences beaucoup plus grandes des Français en matière de confort et de qualité, conséquences de l’élévation du niveau de vie, et le desserrement familial créent de nouveaux besoins en logements.
Ces bouleversements de la société
française s’accompagnent d'un renforcement du système de protection sociale qui
devient peu à peu universel : assurance chômage, retraite, santé, famille, mais
aussi éducation sont la base d'un système que l’on appelle l’Etat Providence.
L’État poursuit son combat contre les taudis des quartiers anciens. La loi
du 10 juillet 1970, dite loi Vivien donne des moyens juridiques et financiers
pour lutter contre les marchands de sommeil et l'habitat insalubre. Ils
définissent les critères d'insalubrité, les travaux ou les démolitions qui
doivent être imposés aux propriétaires.
L'arsenal est très complet et va s'avérer d'une redoutable efficacité.
C'est le temps de l’embellissement généralisé des centres anciens et de leur
rénovation. Le parc de logements anciens s'améliore et retrouve une grande
attractivité pour les classes moyennes ou aisées.
Mais cette rénovation a pour effet de repousser la pauvreté des centres-villes
et de l'exiler dans des quartiers d'habitat social excentrés dans des grands
ensembles « sacrifiés » par destination.
Jusqu’en 1970, la question du logement est celle de la pénurie. Le
consensus politique est très large : cette question relève du champ de la construction
et non du champ social. Cependant la critique du gigantisme des opérations et de la raison
technicienne s’accentue.
Sous l’impulsion de Robert Lion, directeur de la Construction, est lancé
le Plan Construction pour favoriser l’innovation et la qualité architecturale
avec deux programmes : les Modèles Innovation, et les Programmes Architecture
Nouvelle (PAN).
Olivier Guichard, ministre du Logement, organise l’unique grand débat de la période à l’Assemblée Nationale sur la question urbaine.
« Le débat qui s’ouvre est un débat, non pas technique mais politique ».
Il parle de
« droit à la ville » et propose le développement de la responsabilité
municipale, la lutte contre toutes ségrégations sociales et la nécessité de
lier aux nouveaux logements des équipements de qualité.
Le décret du 21 janvier 1971 permet par voie d’arrêté d’étendre aux
localités de plus de 100.000 habitants la procédure d’attribution des logements
instituée en région parisienne.
Et la loi du 16 juillet 1971 entrave discrètement la construction en
coopération. C’est la fin de la location-attribution.
L’idée des grands ensembles et leur conception était porteuse d’un grand rêve d'égalité, de fraternité et de solidarité. La répétition de logements semblables devait produire une société égalitaire, avec la même cellule de base pour tous.
Les illustrations de cette page sont toutes des cartes postales sur lesquelles, souvent, une croix indique le logement tant attendu et l’on est alors fier de montrer la cité moderne… Sa cité. Toutes les villes moyennes ou grandes veulent, dans les années 60, leur ZUP, car elles répondent à l’impérieuse nécessité de loger dignement la population. En 10 ans, 197 ZUP ont été créées.
La natalité galopante, la baisse de la mortalité infantile ne font qu’augmenter
de façon très importante le nombre d’enfants à éduquer et surveiller.
Cet effet est encore plus fort dans les cités HLM où les familles
nombreuses sont surreprésentées.
La nécessité d’espaces de jeux devient un impératif.
Le Centre National pour l’Amélioration de l’Habitation préconise même des
immeubles de 4 étages maximum afin de permettre une surveillance constante,
individuelle ou collective des enfants, et la création d’espaces réservés aux
jeux d’enfants en pied d’immeuble.
Moteurs de l’innovation technique et sociale, les HLM tirent la production de logements vers le haut, vers une société hygiéniste et confortable avec les WC intérieurs et la présence systématique d’une salle de bains.
Ils représentent aussi l’accès à l’espace et à la lumière avec de grandes baies vitrées.
Ils sont fer de lance pour lutter contre la promiscuité avec une chambre pour les garçons, une pour les filles et une pour les parents.
Ils représentent enfin l’intimité pour tous.
Si les tours et les barres ont dominé, y compris pour le parc privé, dans
la période quelques architectes vont se démarquer par une production originale,
quelquefois surprenante, souvent d’une grande créativité. D’autres encore ont
réalisé des ensembles plus simples, mais harmonieux et où la vie quotidienne
est appréciée.
Le label Patrimoine du XXè siècle créé par le ministère de la
Culture en 1999 a été conçu pour souligner la qualité architecturale de
certains de ces ensembles.
Le marché du logement a partiellement comblé son retard et la France
s’oriente enfin vers une politique de qualité. Les classes moyennes quittent
les grands quartiers pour accéder à la propriété.
Le Bilan est spectaculaire : de 12 millions de logements en 1946, on passe à 21 millions en 1975. L’eau courante dans le logement est passé de 37% à 98%, les WC intérieurs de 20 à 74%. Le chauffage central équipe un logement sur deux. Le surpeuplement accentué est passé de 12,8 à 4,8%. Enfin, pour les personnes isolées, se développe la construction de foyers de personnes âgées, de jeunes travailleurs, d’étudiants et de travailleurs migrants. Entre 1970 et 1973, leur nombre va doubler.
Cette période est marquée par le développement massif des couches moyennes, et la généralisation du salariat. En 1954, 66% des actifs occupent un emploi salarié. Ils sont 82,5% en 1975. C’est également l’avènement du secteur tertiaire. En 1975, 72,9% de la population vit dans une unité urbaine.
L’urbanisme de cette période est marqué par la prééminence des problèmes de
circulation automobile sur toute autre considération, « Il faut adapter la
ville à l’automobile », disait Georges Pompidou.
Enfin, cette période des « 30 glorieuses » est marquée par l’omnipotence de l’Etat. C’est la première puissance financière, le premier employeur et le premier producteur. L’Etat est partout. Il va normaliser, impulser, régenter, conduire. Les dispositions prises, par la loi de 1957 qui autorise l’Etat à légiférer par décret-loi dans le domaine de l’urbanisme et du logement, va renforcer les pouvoirs réglementaires des services centraux.
Le pays vit dans l’euphorie d’une forte croissance économique, qui permet de développer un parcours promotionnel de l’habitat parallèle à la promotion sociale des ménages.
L’inflation permet d’emprunter sans risque. Chaque année,
près de 350.000 ménages vont devenir propriétaires d’un logement neuf. De 1954
à 1974, la proportion des propriétaires de leur résidence principale passe de
35,5% à 47%.
Conception : L'Union sociale pour l'habitat - DCOM - Centre de ressources & Patrick Kamoun
Textes : Patrick Kamoun
Numérisation des documents : Azentis